Sesshin novembre 1965 après-midi
Shunryu Suzuki
Le Bouddhisme est très philosophique et parfois intellectuel et logique. Il est nécessaire d’être logique et philosophique pour croire complètement dans l’enseignement. S’il n’est pas logique et philosophique vous ne pouvez pas croire en lui. Notre enseignement ne doit pas être incertain. Bien que la compréhension intellectuelle et philosophique de l’enseignement ne soit pas suffisante elle est néanmoins nécessaire.
Parfois un étudient du Bouddhisme devient fier de l’enseignement philosophique élevé et profond. C’est une erreur. La philosophie est pour l’adepte lui-même, pas pour les autres. Parce qu’il nous est difficile de croire dans l’enseignement, nous devons y pénétrer intellectuellement. Cependant il n’y a pas besoin d’être fier de sa profondeur. C’est juste pour l’étudiant, pas pour les autres. S’il est possible de croire dans l’enseignement du Bouddha sans compréhension intellectuelle, ce sera pour le mieux. Pour la plupart d’entre nous il est difficile d’y croire sans compréhension intellectuelle. Aussi la philosophie est juste pour nous.
Dans l’école Soto nous avons le Shobogenzo, qui comme vous le savez est très très philosophique, profond et élevé. Cela prend pas mal de temps pour comprendre l’enseignement, même philosophiquement, et il n’y a pas beaucoup de personnes qui comprennent complètement le Shobogenzo. Quelqu’un peut étudier le Shobogenzo intensément et même devenir très célèbre grâce à cela ; mais au moment où il le comprend complètement il ne sera probablement plus un leader religieux, mais juste un érudit, fier de sa compréhension du Shobogenzo. Dans l’école Soto c’est tout à fait possible, aussi nous ne parlons pas trop du Shobogenzo. Plutôt nous pratiquons la voie de Dogen que nous ayons ou non une compréhension profonde de notre pratique.
La voie Soto peut paraître formelle et rigide si vous ne connaissez pas le fond des rituels. Si vous voulez étudier il faut un esprit de recherche de la voie fort et constant. De la sincérité pour accepter les rituels, accepter les enseignements sans discussion. Aussi Dogen-zenji insistait sur l’attitude directe qui accepte l’enseignement tel que c’est. Dites juste « Oui je le ferai ». C’est tout. C’est notre voie. S’il y a quelque doute dans notre voie vous pouvez faire une étude philosophique ou intellectuelle du Shobogenzo. Mais nous devons savoir que la voie de Dogen est l’aboutissement d’un effort intellectuel long fondé sur son esprit pur de recherche de la voie. L’enseignement du Bouddha a deux côtés. Un est pratique et l’autre philosophique. Les Quatre Noble Vérités et l’Octuple Sentier sont l’enseignement pratique. L’enseignement de l’interdépendance et de l’impermanence sont la partie philosophique. Vous pourriez dire que le côté pratique est pour les humains ou l’enseignement fondé sur la valeur. Pour les humains cet enseignement a une vraie valeur. Mais l’enseignement que tout change et est interdépendant n’est pas seulement pour les humains mais pour toutes les choses.
D’après l’enseignement de l’impermanence et l’interdépendance il n’y a aucune différence entre les êtres humains et les autres êtres animés ou inanimés. C’est universel pout toutes choses. Cependant l’Octuple Sentier et les Quatre Noble Vérités sont pout les humains et l’enseignement que nous devons suivre. L’enseignement de l’interdépendance et de l’impermanence donne aux humains une forte foi dans les Quatre Noble Vérités et l’Octuple Sentier. Cela nous donne la raison pour laquelle nous devons pratiquer le Zen ou pourquoi nous devons avoir une conduite juste.
Ces enseignements ne sont pas seulement une invention du Bouddha. Ils sont basés sur la vérité éternelle et universelle. Le Bouddhisme a sa validité et universalité dans le monde scientifique, c’est pourquoi les gens aiment le Bouddhisme. Pour un Bouddhiste il n’y a aucune raison d’être fier de l’enseignement à cause de son universalité. Mais il y a un danger pour le Bouddhisme dans son universalité et sa profondeur. Le Bouddhisme en même temps est un enseignement très pratique, vital et actif. Un Bouddhiste doit être concentré sur sa pratique plutôt que sur l’étude philosophique. Le Bouddhisme ne doit pas disparaitre dans le domaine de la science et de la philosophie. C’est un point très important et nous devons toujours être concentrés sur un effort et une pratique sincère.
C’est pour cela que nous rejetons l’idée d’un gain dû à notre pratique. Les idées de gain appartiennent au monde visible, alors que la sincérité fait partie de notre nature la plus profonde. L’enseignement du Bouddha est basé sur sa nature la plus profonde appelée Nature de Bouddha. C’est pour réaliser notre nature la plus profonde et satisfaire notre recherche la plus intime que nous pratiquons le Bouddhisme. Il peut être difficile pour un débutant de réaliser sa recherche la plus intime, mais par la pratique vous réaliserez votre nature la plus profonde et cette nature profonde encouragera votre pratique.
Avant l’établissement du Bouddhisme Zen il n’y avait pas d’idée de la pure pratique du Zen. L’école Hinayana classifiait le Zen de quatre façons excluant toute idée de gain. La pratique fondée sur le gain était appelée « pratique de désir ». Quand vous pratiquez le Zen pour vous préparer au vrai Zen, c’est bien sûr une pratique basée sur l’idée de gain. Par exemple avant zazen vous vous balancez à droite et à gauche ou frottez vos muscles. Ces actions sont faites avec une idée de gain pour se préparer à la pratique.
L’école Hinayana a accepté cette sorte de pratique basée sur le gain. Mais elle ne faisait pas partie des quatre étapes du vrai Zen. Le Zen du monde du désir n’est pas Bouddhiste, n’est pas notre Zen. Vous pouvez l’appeler Zen préparatoire qui est du monde du désir, mais pas du monde de la forme ou du monde de la non-forme.
La distinction ancienne Hinayana entre le Zen pur et le Zen du désir montre qu’il n’est pas correct de dire que le Bouddhisme Zen n’a été établi qu’après l’arrivée de Bodhidharma de l’Ouest. Bien qu’il n’y eût pas d’école Zen spécifiquement nommée, les idées Zen pointaient dans la voie Hinayana. Si nous négligeons ce point l’école Zen deviendra une des nombreuses écoles du Bouddhisme. Chaque école devrait être uniquement Bouddhisme. Un Bouddhiste ne doit pas avoir d’idées sectaires et il ne devrait pas avoir de sectarisme dans le Bouddhisme. Si nous comprenons ce point nous serons concentrés sur la pratique elle-même sans idée de gain.
La pratique sans idée de gain est appelée pratique de Bouddha. Si nous devenons attachés à l’éveil ou à la profondeur de l’enseignement nous oublierons ce point. Quand nous pratiquons juste zazen comme un être humain sans idée de gain nous avons l’universalité de l’enseignement et aussi son individualité et sa validité. Si nous nous attachons à une quelconque idée de perfection nous perdrons la validité de l’enseignement bien qu’on puisse avoir son universalité. Mais alors ce n’est plus une religion : c’est une philosophie ou de la science. Aussi le point est de pratiquer notre voie pure en tant qu’êtres humains avec sincérité sans idée de gain. C’est la pratique pure. Cela n’est pas important de savoir si c’est la première, la deuxième ou la troisième étape. Juste pratiquer avec un pur esprit de recherche de la voie est vrai Zen et vrai Bouddhisme.
Si vous pratiquez zazen pendant un ou deux ans ou plus votre Zen deviendra une partie de votre vie et vous pourrez sentir comme s’il n’y avait même pas besoin de pratiquer le Zen. A ce stade vous comprenez le Zen correctement. Quand vous avez de la joie ou de l’extases dans votre pratique, ce sera encourageant ; mais ce n’est pas assez bien. Cet encouragement vous aide à atteindre le domaine où vous n’avez pas de joie dans votre pratique. D’un autre coté si vous en venez à penser que vous comprenez le Zen et qu’l n’y a plus besoin pour vous d’étudier ou de pratiquer le Zen, c’est une grosse incompréhension. Zen doit être le travail de toute notre journée et de toute notre vie. Nous devons suivre cette voie sans idée de gain. Cela ne veut pas dire d’ignorer l’encouragement et la joie dans notre pratique ; mais la vraie pratique est au-delà de notre joie ou notre compréhension