Sesshin 11 décembre 1965 soir

Shunryu Suzuki

Le Bouddhisme a de nombreux anneaux annuels comme un grand arbre. C’est dans notre tradition de respecter les efforts que nos patriarches ont faits pendant plus de 2000 ans. Il y a eu un grand effort – nous avons fait un grand effort pour développer la voie du Bouddha. C’est un point très important pour le Bouddhisme en tant que religion. Sans apprécier les efforts de nos patriarches il est difficile d’avoir un sentiment religieux dans le Bouddhisme.

Ce temple a été créé en 1934. A cette époque il n’y avait pas beaucoup de prêtres en Amérique et le fondateur a fait un gros effort de collecte de donations pour acheter ce bâtiment. Il n’a été capable de lever qu’une partie du coût et les membres Japonais ont remboursé l’emprunt année après année. Même quand ils étaient en camp de détention pendant la guerre ils ont rassemblé l’argent pour payer l’emprunt. Cet effort dans les camps était important mais rien en comparaison des efforts et de la dévotion de nos ancêtres et patriarches en Inde, Chine et Japon pour préserver et développer le Bouddhisme. Même une ligne d’une écriture est le résultat de leur effort. Ce n’est pas seulement l’enseignement. Nous devons continuer ces efforts génération après génération éternellement. Notre responsabilité comme Bouddhiste est de continuer cet effort où que nous soyons.

Comme je l’ai dit cette après-midi il est nécessaire d’avoir un but dans notre vie. Le but le plus important pour un Bouddhiste est d’être un successeur des patriarches. Si vous ne comprenez pas ce but vous étudiez le Bouddhisme de l’extérieur. Pour quelqu’un extérieur le Bouddhisme n’est rien. Quand vous acceptez le Bouddhisme comme vôtre et essayez de le développer comme vôtre, alors le Bouddhisme aura une signification formidable pour vous.

L’étude intellectuelle du Bouddhisme est bien sûr nécessaire mais vous ne devez pas rester au bord du Bouddhisme. Intellectuellement les patriarches ont fait un grand effort. Bien qu’ils fussent souvent traités d’hérétiques ils étudièrent d’un pur point de vue intellectuel et s’efforcèrent de ne pas ignorer les plus petits points illogiques du Bouddhisme. Historiquement il y a quelques doutes à propos de notre lignée en particulier avant Bodhidharma. Aujourd’hui chacun sait que les noms et les connections ne sont pas historiquement parfaits, mais nous savons aussi que le Bouddhisme a été transmis « de main chaude à main chaude » du temps du Bouddha jusqu’à nos jours. Le fait et l’esprit de l’enseignement a été transmis. Les études historiques ou scientifiques ne sont pas parfaites. Il y a une limite à la vérité scientifique.

L’expression artistique du Bouddhisme n’est pas non plus parfaite. Mais ce qui est peint est peut-être plus réel pour nous. Il en est de même avec notre enseignement qui est plus humain que la nature humaine elle-même. Les préceptes qui sont les plus difficiles à suivre sont ceux qui nous attirent plus directement, nous encouragent plus, nous aident plus que les règles séculaires plus faciles à observer.

Le sens habituel des règles et lois que nous observons est de protéger les citoyens au bénéfice de la société. Mais les préceptes Bouddhistes sont pour chacun de nous et non pour quelqu’un d’autre. Les préceptes qui paraissent irréels et idéalistes sont plus pratiques pour chaque être humain et satisfont mieux notre demande la plus intime.

Cela semble une perte de temps très peu pratique de s’asseoir ici toute la journée sur votre coussin ; mais si vous vous comprenez vous-même vous comprendrez pourquoi nous pratiquons zazen. La nécessité de zazen et des préceptes est en vous et non pas à l’extérieur.

Je suis un prêtre et vous des laïques. Vous pouvez dire que le Bouddhisme écrit dans un livre est pour quelques personnes particulières ; et que vous en tant que laïques pouvez ignorer les préceptes. Mais si vous réalisez que la religion est pour chacun et doit être observée comme notre façon de vivre, vous saurez que les préceptes inscrits dans un livre qui ne peuvent être actualisés ne peuvent pas faire partie de notre pratique quotidienne.

Lorsque nous sommes sincères à propos de notre vie quotidienne et du sens de la religion, nous ne pourrons pas vivre avec des préceptes dédiés à d’autres personnes. Nous devons avoir nos propres préceptes. De cette façon Hyakujo-zenji (720 – 814) a établi les préceptes Mahayana pour la première fois pour les Bouddhistes Mahayana. Mahayana a été introduit en Chine au début du 1er siècle et pendant plusieurs siècles les préceptes Hinayana Indiens furent observés. Probablement seuls les prêtres observèrent ces préceptes en ignorant la vie des Chinois ordinaires. Les Bouddhistes Zen étaient très sérieux en ce qui concernaient leur vie et celle des gens du peuple et renouvelèrent les préceptes. En Inde les moines étaient supportés entièrement par le peuple alors qu’en Chine les moines devaient se supporter eux-mêmes et donc ne pouvaient pas s’asseoir toute la journée. Donc le Zen Chinois était plus pratique.

Un seul fil n’est pas utile tant qu’on ne fait pas un beau vêtement avec. Aussi chaque école du Bouddhisme a une signification comme part de la vie religieuse globale. Dans ce sens notre voie a deux faces. L’une est comment trouver le vrai sens de la religion dans notre propre voie, l’autre est comment nous restons une des écoles du Bouddhisme. J’appartiens à l’école Soto. Je suis juste un bout de fil mais nous savons comment nous faire une partie utile d’un tissu. C’est la voie Soto.

Sans savoir comment nous rendre utiles, observer quelque voie élevée ne fait pas beaucoup de sens. Comme Dogen a dit « D’avancer soi-même et comprendre toutes les choses est ignorance ». Il donne la définition de l’ignorance : ceci est rouge, ceci est rose, ceci est bleu. Alors qu’est-ce que l’éveil ? L’éveil est que « les choses avancent et se comprennent elles-mêmes ». Tout le tissu. Qui est Bouddha ? Quelqu’un qui comprend l’ignorance. Qui sont les gens ordinaires ? Ceux qui ne comprennent pas l’éveil. « Quand les bouddhas sont réellement bouddhas ils ne sont pas nécessairement conscients qu’ils sont bouddhas. Mais ils sont des personnes éveillées. Ils avancent en éveil ». Nous ne sommes pas nécessairement seulement des prêtres Soto, nous sommes Bouddhistes. Nous ne pouvons pas pratiquer toutes les formes de pratique. Bien que nous pratiquions seulement la voie Soto nous sommes cependant Bouddhistes.

 Chacun sait que zazen est difficile. Vous ne pouvez pas le pratiquer complètement. Mais vous ne devez pas abandonner. Il y a suffisamment de raisons pour lesquelles nous devons continuer. Le Zen s’est développé de cette façon ; et dans un pays débordant d’activité comme l’Amérique il faut mettre de côté du temps pour zazen. Nous devons avoir plus de calme dans nos vies et respecter notre tradition, à la fois Bouddhiste et Chrétienne.